Eddy et Reda — ecal

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 Dans le cadre de mon projet de diplôme à l’ECAL en direction artistique, je présente une performance dans une installation interactive dont le point de départ est le livre « Histoire de la violence » d’Edouard Louis. Il me tenait particulièrement à

Dans le cadre de mon projet de diplôme à l’ECAL en direction artistique, je présente une performance dans une installation interactive dont le point de départ est le livre « Histoire de la violence » d’Edouard Louis. Il me tenait particulièrement à cœur de choisir un écrivain de la même génération que moi (Edouard Louis est né en 1992). Son histoire personnelle me touche, car elle s’inscrit dans un contexte politique et social contemporain et nous parle du monde d’aujourd’hui. Je réinterprète librement Histoire de la violence d’Edouard Louis en mettant en avant deux concepts :

Le premier est l’idée selon laquelle les personnes frappées par la violence sont amenées à souffrir deux fois : d’abord par le corps, et ensuite par le langage. Par le corps au moment où la violence les frappe, et par le langage au moment où le monde les pousse à raconter, témoigner et donc se souvenir encore et encore. Dans mon projet, je traduis visuellement ce concept par la confrontation du corps du danseur, Ilario Santoro, avec les photos projetées sur les quatre écrans. Le travail photographique, spécialement créé pour l’occasion par les photographes Calypso Mahieu et Emma Panchot, fait écho au livre d’Edouard Louis. Un programme « processing » à été écrit avec Thibault Evrard pour reconnaître les mouvements du danseur, grâce au détecteur de mouvement « Kinect », qui les traduit au fur et à mesure en transitions graphiques et lumineuses sur les photographies projetées sur les écrans.

Le deuxième concept explore la dimension sociologique des deux personnages. Eddy, qui est l’écrivain, vient d’un milieu défavorisé du Nord de la France et a été victime d’homophobie. Reda, est un réfugié Kabyle vivant en France et homosexuel. Les deux personnages sont donc victimes d’ « intersectionnalité », terme introduit au milieu des années 2000 dans le champ des études de genre francais aux Etat-Unis. L’intersectionnalité vise à décrire la pluralité des discriminations que quelqu’un peut subir (par le sexe, par la classe ou par «  la race » comme disent les anglo-saxons). Dans le livre, Eddy et Reda se séduisent, passent la nuit ensemble et soudain Reda vole et viole Eddy et une extrême violence surgit entre eux.

Les photographes qui ont travaillé sur le projet proposent leur interprétation des deux personnages. Emma Panchot a travaillé sur le personnage de Eddy et Calypso Mahieu sur celui de Reda. Les deux photographes ont ensuite créé ensemble la dernière série où Eddy et Reda tombent dans la violence.

Calypso a imaginé Reda à travers des objets. Elle a choisi de faire des natures mortes, qui retranscrivent toute l’ambivalence du personnage, à la fois sa culture Kabyle et ses racines, et en même temps le côté homosexuel qu’il n’assume plus et qui le mène (peut-être) vers cette violence. Les photos ont à la fois quelque chose de féminin, doux, statique et en même temps de très violent.

Emma, quant à elle, a fait un travail beaucoup plus documentaire, elle est allée à la rencontre de témoignages relatifs au roman d’Edouard Louis. Les modèles des photographies, Endrit et Pierik, sont concernés par les récits de Edouard Louis, c’est à dire qu’ils se reconnaissent dans l’écriture de l’écrivain. Elle a retracé les différentes émotions qu’Eddy a ressenties et subies lors de sa rencontre avec Reda : de l’extase à l’humiliation, de l’amour à la crainte.

La typographie utilisée dans le projet, a été spécialement dessinée par Eliott Grunewald. Ses formes et ses courbes sont inspirées par la technique des gravures sur pierre. On pourrait l’assimiler à des pierres tombales crées par percussion avec des outils bruts. Il existe deux styles. Une version display (Eddy) plus contrastée et aux angles pointus, pourtant fine et sensuelle, qui s’apparente à un matériel tel que le verre. L’autre style (Reda) est une version plus adaptée au texte, plus dodue, qu’on pourrait associer à des matériaux tels que le bois ou la pierre.

La musique de la performance est une création de Luca Kasper. Nous avons travaillé sur la même structure que le programme « processing », elle monte en puissance lors de la confrontation finale des deux univers. Luca Kasper a une pratique expérimentale de la musique électronique, gravitant autour de l’ambiant, du « field recording » et de la synthèse. Le résultat est une forme hybride qui croise une musique atmosphérique et des rythmes séquencés.

La scénographie et le design des écrans ont été élaborés en collaboration avec Manon Vernier. Les écrans sont en coton, hauts de 3 mètres sur 2 mètres de large, ils sont cousus en un grand cylindre et mis en tension par deux tasseaux de bois, qui viennent soutenir et appuyer le tissu. Cette structure légère flotte et ondule avec le danseur. Les trois panneaux sont installés comme un triptyque et deviennent une surface sur laquelle est projetées les photographies et divisent la scène en chapitres. L’écran horizontal du centre expose la série de la transition vers la violence tandis que ceux de gauche et de droite représentent les deux personnages du roman.

© Photography by Vincent Levrat